Paul Nicorescu
BULLETIN DE LA SECTION HISTORIQUE
(HISTOIRE – GÉOGRAPHIE – SCIENCES SOCIALES)
T. I-XXI (1913-1939) SOUS LA DIRECTION DE N. IORGA
PUBLIÉ PAR LES SOINS DU SECRÉTAIRE DE LA SECTION
N. BANESCU
MEMBRE DE L’ACADÉMIE ROUMAINE
TOME XXV. 1
Les basiliques byzantines de Dolojman
En 1926, j’ai entrepris des recherches et des fouilles archéologiques sur le promontoire de Dolojman situé entre les villages de Jurilofca et de Caramanchioi, dans le département de Tulcea.
En face du promontoire, a une distance de 2.200 m. environ, se trouve un îlot nommé “Bisericuþa” (la petite église). Aux époques géologiques, ce dernier formait corps avec le promontoire, mais par suite de l’action des vents violents du N-E auxquels il était sans cesse exposé, le promontoire s’est brisé et son extrémité est restée isolée sous forme d’ îlot.
Par sa hauteur, grâce a laquelle il domine les alentours, et par sa position avancée, ce promontoire, ainsi que l’ îlot qui lui fait face, constitue depuis la plus haute antiquité un point stratégique. Les vestiges des retranchements et des remparts qui se voient encore a sa surface, prouvent qu’il existait ici dans l’antiquité une citadelle puissamment fortifiée. Le dessin des fortifications montre que c’ était une forteresse byzantine, mais il fut longtemps impossible de préciser laquelle.
L’inscription trouvée en 1914 dans les fouilles pratiquées par V. Pârvan a Histria nous fournit quelques indices a ce sujet. Elle montre la délimitation du territoire de la ville privilégiée d’Histria, établie par M. Laberius Maximus, gouverneur de la Moésie inférieure, le 25 octobre de l’an 100 ap. J. – Ch.). Suivant l’interprétation donnée par V. Pârvan a cette inscription, le territoire d’Histria était, sur ce point, contigu avec “dominium Argamensium”. Si l’on admet cette interprétation, il résulte que sur cet emplacement a du s’ élever la localité l’Argamum. Le nom de cette derniere jArgamwv est cité egalement par Procope, dans De aedificiis, parmi les localités reconstruites et fortifiées par Justinien.
Les fouilles que j’ai pratiquées sur ce promontoire de 1926 a 1932 ont mis au jour les murs d’une puissante citadelle byzantine de forme triangulaire ayant une superficie intérieure de deux hectares et demi environ. Nous en reproduisons ici la vue générale prise d’un avion. Les murailles de la fortresse, épaisses de 2,80 a 3,20, étaient flanquées de huit rures et de cinq contreforts. Dans l’une des tours située sur le rempart du s-ouest, était pratiquée une entrée a porte double. Les vestiges des murailles ont une hauteur de 2 a 3 m. Vers l’intérieur des terres, la citadelle était défendue par de hauts retranchements de terre (voir sur le plan de la fig. 3).
Des fragments de céramique grecque de bonne qualité trouvés dans les couches inférieures nous montrent qu’il s’agit d’un établissement ancien, probablement d’un comptoir commercial d’Histria. Quelques inscriptions latines prouvent qu’il a également existé a l’ époque romaine, ce qui vérifierait l’opinion de Pârvan qui était d’avis que sur cet emplacement était élevé Argamum qui remonte a l’ époque de Trajan. De nombreuses monnaies et la facture des murailles confirment les dites de Procope suivant lequel la fortresse a été construite sous Justinien.
Parmi les monuments découverts dans la citadelle se trouvent les ruines de deux basiliques particulierement intéressantes pour l’histoire des premiers édifices religieux dans notre pays. Dans les pages qui suivent, nous allons décrire ces deux basiliques.
Elles étaient situées dans la partie la plus élevée de la citadelle, vers la côte abrupte, si bien qu’elles pouvaient etre aperçues de loin par les marins qui naviquaient sur le lac.
La basilique pricipale est située non loin du centre de la citadelle, a gauche de la rue qui menait de la poterne vers l’angle inférieur de la forteresse, ou l’on a découvert les murs massifs d’un bâtiment rectangulaire qui était probablement le prétoire de la citadelle. La basilique dont l’orientation est parfaite présente l’abside vers le Levant.
Les dimensions extérieures de la basilique sont de 13, 60 sur 20, 20. Les murs sont bien travaillés, les pierres scellées entre elles par un mortier a la chaux ont une épaisseur de 0,80. Ils se sont conservés sur une hauteur de 70 a 80 cm environ.
A l’entrée de la basilique, on aperçoit, collé au mur de l’ édifice, une muraille oblique qui a été ajouté ultérieurement afin d’offrir un refuge contre le vent violent et froid du nord, aux fideles qui ne pouvaient trouver de place dans l’ église. Sa longueur étant insuffisante, il a été prolongé par une autre portion de mur dont les pierres sont reliées entre elles par de la terre glaise. Ce genre de mur destiné a fournir un abri contre le vent se voit de nos jours encore en Grece a l’entrée des églises situées sur des points isolés.
On entre dans le pronaos par une porte large de 2 m. Le pronaos lui-meme a une surface de 12 m sur 2, 80 m. Le mur de droite est percé d’une porte d’environ 1 m. de large qui donne sur le dehors. Sur le mur de gauche il y a également une porte large de 0, 65 m. par laquelle on entre dans une petite aile ajoutée a l’ église. Ce dernier édifice comprend deux pieces: l’une de 1, 60 m. sur 2, 25 m communiquant, comme on l’a vu, avec le pronaos, et une autre plus petite de 1, 60m. sur 0, 96 m. qui ne communique avec l’extérieur que par un orifice d’environ 0,40 sur 0,40 s’ouvrant sur le nord. Il nous est impossible de préciser le rôle de ce bâtiment surajouté. Du pronaos on pénetre dans le naos par trois portes, comme de coutume, chacune d’elles correspondant a une des nefs. La porte principale a, comme la porte d’entrée, 2 m de large environ, les portes latérales ont une largeur approximative de 1 m.
Jusqu’ a la ligne de l’abside, le naos a 12, 20m. de largeur sur 15 m. de longueur. Il est divisé en trois nefs par deux rangées de sept piliers. Les deux premiers piliers a partir de l’entrée sont collés au mur; les derniers piliers légerement allongés (celui de gauche est détérioré) sont également collés au mur. Les avant-derniers ont un prolongement vers les bas-côtés, ce qui montre que cette partie du naos était séparée du reste par une balustrade – cancello – afin d’empecher la foule de s’approcher trop pres de l’autel.
Autour de l’abside se trouve une sorte d’estrade dont les bords se sont assez bien conservés. La Sainte Table – l’autel – qui, dans certaines églises, était faite de pierre, ne s’est pas conservée. L’intérieur de la basilique était pavé de dalles de pierre. Sur le mur de gauche se trouve une porte d’environ 1 m. de large vers l’extérieur. A droite, il y a également une porte de la meme largeur qui communique avec un bâtiment annexe. Les murs de ce dernier, construits ultérieurement a ceux de la basilique, sont de pierres soudées entre elles par de la terre. Le mur s’est conservé en certains endroits jusqu’ a 0, 70 m de hauteur. Ce bâtiment est parallele a la basilique sur une distance de 1, 70 m. Sa largeur intérieure est de 5, 60 m, une autre plus longue de 6, 10 m. Les portes de communication entre ces différentes pieces ne sont plus visibles. Le corridor dont le dallage s’est conservé a une porte qui donne sur l’extérieur.
Ce qui est intéressant, c’est que dans le couloir, juste aupres de la porte par laquelle on pénetre dans la basilique se trouve un bassin circulaire de pierre dont le diametre et la profondeur sont de 0, 52 m. environ. Il est revetu d’une couche de mortier vitreux épaisse de 2 cm environ et sa partie inférieure est percée d’un trou permettant l’ écoulement de l’eau. Ce bassin est évidemment la piscina dans laquelle se faisait le bapteme des enfants. Aux premiers siecles du christianisme, ces bassins se faisaient dans une petite piece, le baptisterium, attenante a la basilique. Plus tard, ces bassins ont été introduits dans l’ église meme, mais a la fin l’habitude a prévalu de construire le baptistere et sa piscina comme un édifice distinct dans le voisinage immédiat de l’ église.
La deuxieme basilique est plus modeste. Ses murs sont de pierre et le mortier employé est de la terre. Elle ne possede qu’une seule nef. Son orientation n’est pas parfaite: son axe dévie vers le N-E d’un angle de 200 environ. Ses dimensions extérieures sont: 20, 60 m de longueur jusqu’ a la base de l’abside et 7 m de largeur au milieu. Le pronaos a 7, 30 m de longueur sur 5 m de largeur. Dans la partie gauche, il est plus large que le corps de la basilique, ce qui lui donne une forme asymétrique, L’ épaisseur de ses murs varie entre 0, 65 m et 0, 70 m. La porte d’entrée est située au milieu et a 1, 46 m de largeur environ. On pénetre dans le naos par une porte située au milieu. Le naos a une largeur de 5, 60 m et une longueur de 14, 20 m jusqu’ a la base de l’abside qui est parfaitement semi-circulaire et dont le rayon est de 2, 80m; son mur est adossé a celui de la citadelle et est plus mince que ce dernier. L’intérieur est pavé de larges briques carrées. Dans la partie droite se trouvent deux pieces attenantes. La premiere (qui mesure 3, 50 m sur 4,40m ) n’a qu’une seule porte donnant sur l’intérieur et large de 0, 80 m. La deuxieme piece qui a 3, 50 m sur 6, 90m a trois portes, l’une vers l’intérieur et deux vers l’extérieur. Dans l’angle S-E de cette piece se trouve un bassin – pisicina – large de 0, 64 m. et profond de 0, 60m. percé a sa partie inférieure d’un trou destiné a l’ écoulement de l’eau et revetu d’un enduit de mortier vitreux d’une épaisseur de 2 cm environ.
Dans les basiliques byzantines qui ont été examinées en Dobroudja, on a trouvé des fonts baptismaux de cette nature en forme de croix, dans une piece attenant a la basilique d’Axiopolis (Cernavoda). Dans une piece latérale de la basilique d’Ulmetum attenant a la partie gauche, on a trouvé un catillus, une meule de pierre dont la partie supérieure était creusée en forme de cône ayant un diametre supérieur de 0, 35 m et inférieur de 0, 17 m et une profondeur de 0, 36 m. Il semble qu’elle ait servi de fonts baptismaux.
Dans la basilique d’Histria qui, en dépit de son abside orientée vers l’est a du etre utilisée a une époque tardive comme église, se trouve dans l’angle gauche, pres de l’entrée dans le pronaos, une construction circulaire de 0, 70 m de diametre qui a probablement servi de fonts baptismaux.
Dans la basilique a double transept de Tropaeum, il semble que la piece rajoutée a gauche ait contenu un bassin circulaire pour le bapteme.
Dans la belle basilique de marbre de Tropaeum, les fonts baptismaux se trouvaient dans un édifice séparé – le baptisterium – construit a côté du bâtiment principal.
Maria Coja
ASSOCIATION INTERNATIONAL
DES ÉTUDES DU SUD-EST EUROPÉEN
ACTES
DU IIe CONGRES INTERNATIONAL
DES ÉTUDES DU SUD-EST EUROPÉEN
(Athenes, 7-13 mai 1970)
TOME II
HISTOIRE
Maria Coja
Roumanie
RECHERCHES DANS UN ÉTABISSEMENT PONTIQUE PEU CONNU ET OBSERVATIONS SUR SON TERRITOIRE
Dans l’étude des problemes liés au phénomene de la colonisation grecque, les recherches archéologiques ont fourni des données abondantes, qui représentent le meilleur moyen de confrontation des sources écrites, d’une teneur assez lapidaire. Ces recherches ont permis de tirer des conclusions importantes. Pourtant, pour la progression naturelle des études, il est encore nécessaire d’explorer et d’étudier les phénomenes en allant du particulier au général, de reconstituer l’histoire de chaque polis a part afin de pouvoir l’intégrer dans l’histoire de la région respective ou dans l’histoire générale. Le processus de colonisation de la Mer Noire constitue un chapitre aux particularités bien marquées. Quoique la documentation archéologique actuelle soit assez riche la-dessus, une connaissance plus approfondie du phénomene comporte encore bien des efforts et, par conséquent, l’accumulation de bien de données nouvelles. C’est pour répondre a de telles préoccupations que nous nous sommes proposé de faire connaître les résultats obtenus dans un centre peu connu du rivage occidental du Pont Euxin. L’évidence avec laquelle les résultats des fouilles d’Histria ont démontré l’efficacité des recherches systématiques et continues dans la reconstitution de l’histoire d’une ville – histoire qui conduit elle-meme a une meilleure compréhension de celle de toute une région – nous a déterminé a faire porter nos recherches sur un centre fortifié, libre de toute construction moderne – situation plutôt rare sur le litoral de la Douroudja. Ajoutons que cet établissement n’est pas totalement inconnu: il a été, en effet, englobé dans l’aire de ses recherches par Vasile Pârvan, ce savant qui n’a laissé échapper aucun probleme d’archeologie ou d’histoire susceptible de s’intégrer de pres ou de loin a ses préoccupations.
Dans le cas qui nous occupe, l’occasion lui en fut offerte par une découverte des plus importantes survenue dans le domaine de l’épigraphie histrienne, a savoir l’horothésie de Labérius Maximus. La lecture de Pârvan attirait l’attention sur un établissement fortifié proche du cap Dolojman, situé aujourd’hui sur le territoire de la commune de Jurilovca (département de Tulcea), a 40 Km environ au nord d’Histria. Dans ses commentaires sur cette délimitation, Pârvan montrait que “au nord, vers le lac d’Halmyris, le territorium Histriae confinait au territorium Argamensium”. La localité est mentionnée par Procope sous le nom d’ jArgamwv, a côté des autres citadelles fortifiées par Justinien. Une mention plus ancienne, due a Hécatée de Milet, qui écrivait vers la fin du VIe siecle et le début du siecle suivant, a été transmise par Étienne de Byzance (fragment 172): jOrgamh: povli" ejpi; tw`/ [Istrw/.
En conséquence, Paul Nicorescu entreprenait en 1926 des fouilles qui mirent au jour les fortifications d’une citadelle romano-byzantine et deux basiliques chrétiennes, représentant tout ce que l’auteur des fouilles a publié la-dessus. A cette occasion, il mentionnait l’existence de vestiges de l’époque romaine, ainsi que la présence de fragments de céramique grecque (Pl. XXIII).
La reprise des fouilles en ce meme point, en 1965, a fourni une série de données nouvelles. Elles ont confirmé la mention d’Hécatée, en ramenent a la lumiere une assez reiche couche archaique, ou l’on a récolté des tessons contemporaines de la plus ancienne céramique d’Histria. La succession des couches continue normalement, avec des dépôts des époques classique, hellénistique, romaine et romano-byzantine. On se trouve donc en présence d’un noyau de civilisation gréco-romaine, dont l’exploration est susceptible d’offrir un surplus d’informations sur la vie des cités antiques de la côte occidentale de la mer Noire.
La citadelle est située sur un promontoire de roc calcaire, qui se termine au nord-est par une haute falaise et don’t l’éboulement révele toute la stratigraphie. Bien que les recherches n’aient pas mis au jour jusqu’a présent des ruines de monuments autres que ceux de l’époque romaine ou romano-byzantine, les quelques vestiges de la période préromaine recueillis jusqu’a présent peuvent donner lieu a nombre d’observations, appelées certainement a s’étoffer davantage au cours des recherches a venir.
L’établissement fortifié se trouvant a l’extrémité du promontoire, nous avons pratiqué une section sur la terrasse sud en dehors du mur de défense. Nous y avons découvert une couche de l’époque hallstatienne ancienne, appartenant a la civilisation de Babadag, récemment identifiée dans ces parages. Parmi les éléments les plus importantes mis au jour, citons une demeure creusée a meme le roc, ainsi que quelques petites fosses ménageres. La céramique récoltée daterait – des IXe-VIIIe siecles av.n. e. Directement au-dessus apparaissent des fragments de céramique grecque, a côté de celle caractéristique du Hallstatt final. Il y a la une situation assez rare: celle d’une colonie grecque établie sur une couche préhellénique sous-jacente.
En ce qui concerne la topographie de la ville archaique, nous n’avons pas été en mesure de la reconstituer. Il ressort des sections pratiquées en dehors de la citadelle tardive que les couches grecques sont peu denses. En revanche, la ou la falaise s’est éboulée on distingue une couche de plus de 1,50 m. d’épaisseur, tres riche en matériaux: l’on peut en déduire que le centre de la ville grecque se trouvait sur le promontoire meme, dont une partie s’est éboulée entre-temps, soit sous l’effet des agents naturels, soit plutôt a la suite des excavations pratiquées dans les carrieres de pierre. Bien qu’en quantité réduite jusqu’a ce jour, la céramique grecque récoltée comprend néanmoins les principales séries relevées a Histria. Mentionnons ainsi en premier lieu, pour l’époque archaique, un fragment de bol décoré d’un oiseau, faisant partie du groupe apparenté au “rhodien” A, selon la derniere interprétation du volume Histria II, groupe daté du dernier quart du VIIe siecle av. n. e. Les autres fragments s’encadrent dans les séries bien connues du VIe siecle, telles que bols, coupes, amphores a engobe et décor en bandes, qui font partie du groupe gréco-oriental (Pl.XXV/1-7)/ Suivent quelques fragements corinthiens tardifs, ainsi que quelques débris de céramique attique a figures noires, illustrant les attaches économiques de la colonie avec la Grece continentale.
Cette breve énumération suffit pour établir un parallélisme chronologique entre notre établissement et Histria. Il nous autorise des maintenant a situer ce petit centre parmi les plus anciens de la côte de la Dobroudja. D’autres centres du meme genre attendent a leur tour d’ etre confirmés par les recherches archéologiques, ne seraien’ce que Stratonis et Parthénopolis, situés tous les deux au sud de Tomis. La céramique attique a figures rouges ou la série a vernis noir et décor par estampage (type bolsal) attestent des dépôts de l’ époque classique (Pl. XXV/8-11).
L’ époque hellénistique est, pour sa part, représentée par des anses d’amphores a estampilles de Thasos, Synope, Rhodes, melées aux séries west-slope et a la céramique usuelle. Cette derniere est jusqu’a un certain point semblable a celle d’Histria, mais avec certaines particularités. La céramique autochtone est présente dans toutes les couches mentionnées.
A ces dépôts stratigraphiques, comme on peut tres bien le voir sur le profil de la falaise, succedent ceux des époques romaine et romano-byzantine.
En ce qui concerne les contructions, on ne connaît pas a l’heure actuelle d’autres fortifications que celles d’ époque tardive. Cependant l’existence a la surface extérieure a celle-ci de dépôts plutôt pauvres pour l’ époque grecque et beaucoup plus riches pour l’ époque romaine (Pl. XXVI) prouve qu’aux époques plus anciennes l’ établissement, qui comprenait sans doute des quartiers extra muros, était bien plus étendu. L’observation a été vérifiée a l’aide de deux sections. L’un de nos sondages a révélé au-dessus d’une mince couche grecque, l’existence d’une couche romaine dont les dépôts commencent au Ier siecle de n. e. et vont jusqu’au IVe siecle; les dernieres monnaies datent du regne des empereurs Constantin le Grand et Valentinien. La vie cesse a un moment donné au IVe siecle; apres quoi on voit s’ établir en cet endroit une nécropole plane ou était pratiqué le rite de l’inhumation. Nous jugeons tres précieuses ces observations. Confrontées avec les dernieres découvertes d’Histria, elles attestent des situations absolument semblables, a savoir les destructions provoquées par les raids des Goths au cours de la seconde moitié du IVe siecle. Ainsi que nous avons pu l’ établir récemment pour Histria, la derniere attaque a conséquences graves eut lieu jusque la habité fur abandonné et transformé ultérieurement en nécropole. Les sépultures sont exactement du meme type dans les deux sites, attestant un fonds commun de population.
Nous nous arreterons maintenant tres brievement sur les principaux résultats des recherches pratiquées a l’extrémité du promontoire, sur l’emplacement de la citadelle d’époque tardive.
En un point de la haute falaise (secteur 1) proche d’une basilique a trois nefs connue par les fouilles antérieures, nous avons exploré une petite surface qui a révélé l’existence d’une riche couche datant du VIe siecle de n. e. (Pl.XXVII). Les monnaies recueillies ont été émises sous les empereurs Justinien Ier, Justin et Sophie et Maurice Tibere. Nous avons également dégagé une partie de l’enceinte et un bastion. Dans le profil de la pente qui descend vers la falaise, en dehors de la muraille, les décombres des constructions du VIe siecle se melent a ceux des IIe-IVe siecles de n. e. La ville romaine et probablement la ville grecque s’étendaient donc assez loin vers le lac, au-dela le l’enceinte qui est de date plus récente (Pl. XXVIII/1). Les fouilles ne peuvent etre étendues a cause de l’éboulement du rocher. Dans ce meme secteur, nous avons constaté que la muraille n’avait pas été construite au VIe siecle, comme on le croyait, mais bien plus tôt, au IVe siecle au plus tard, ainsi qu’il appert des réparations relevées sur son parement extérieur et meme dans ses fondations. Il n’est point exclu que les résultats de fouilles ultérieures ramenent meme cette date au IIIe siecle, et que cette citadelle-ci en soit sortie indemne.
Nous avons essayé de vérifier ces observations sur la terrasse. Nous avons pratiqué dans ce but une section a travers la berme du mur et les deux fossés protecteurs creusés de part et d’autre d’un vallum (Pl. XXVIII/2). Nous avons constaté que les couches de l’époque romaine et de l’époque grecque ont été disloquées sur le tracé des fossés et que sur le reste de la terrasse des nivellements ont eu lieu, en vue de la construction de nouvelles habitations. Le point ou notre section coupe le vallum a livré une grande quantité de poterie grecque et une quantité moindre de céramique romaine. Au-dela des fossés, vers le Sud, c’est-a-dire dans la direction ou se trouvait probablement le port antique, on aperçoit les ruines d’un quartier habité au VIe siecle (fig.2). Pour des motifs qui nous échappent, la ligne de défense a subi, probablement a une époque plus récente, certaines modifications, car a un moment donné les fossés furent comblés au détriment de la défense. Il se pourrait que la suppression de la portion sud, défendue par un vallum, ait été suivie de la construction d’un second vallum faisant face au front principal et englobant la terrasse sud avec toute l’extrémité du promontoire.
La simple énumération des données fournies par ces recherches préliminaires souleve une série de problemes qui devront etre examinés systématiquement au cours des campagnes a venir. Les plus importants sont ceux qui ont trait aux premiers temps de l’habitat humain en ces lieux. Rappelons a ce sujet l’existence d’un niveau d’habitat de la période hallstattienne ancienne, appartenant a la civilisation de Babadag. Cette civilisation, découverte au cours des dernieres années, s’étendait sur une aire du territoire de la Dobroudja qui nous intéresse tout particulierement par le fait qu’elle comprenait la zone du littoral. Elle se situe chronologiquement entre la fin du IIe millénaire et le VIIIe siecle av. n. e. La présence des phases finales de la civilisation de Babadag sur le site du cap Dolojman nous semble d’un intéret particulier, car il s’agit d’une population autochtone qui vivait sur la côte du golfe d’autrefois. Les caractéristiques de cette civilisation ne peuvent plus etre suivies au VIIe siecle, de sorte que nous ne pouvons nous rendre compte si ses représentants se sont maintenus sur les lieux jusqu’a la venue des colons grecs. Au stade actuel des recherches, cela semble assez peu probable, sans etre toutefois exclu.
L’apparition des colons grecs est attestée, ainsi que nous l’avons déja mentionné, dans la seconde moitié du VIIe siecle av.n. e., par la céramique grecque melée a de la céramique autochtone appartenant a la phase finale du Hallstatt. C’est la, incontestablement, un point accquis. De la sorte, si la localisation de l’antique Orgamé proposée par Pârvan s’avere valable, l’information d’Hécatée s’en trouvera pleinement confirmée. Tous les efforts devront etre déployés pour mettre au jour les fortifications de l’établissement et en préciser l’organisation urbaine, des lors qu’elle est mentionnée par Hécatée en tant que polis. Quant au probleme de savoir s’il s’agissait d’une polis indépendante, suivant l’interprétation de Pârvan, ou d’une colonie d’Histria, comme le supposait Paul Nicorescu, il est difficile de se prononcer a l’heure actuelle. De toute façon, ce haut promontoire forme avec le cap dit “Bisericuþa”, distant de 2 km., deux points élevés commandant l’actuelle communication entre le lac Goloviþa et le lac Razelm, deux golfes de la mer Noire dans l’antiquité. Le site était donc tout indiqué pour l’aménagement d’un point stratégique, ainsi que d’un centre économique pour l’exploitation des ressources du delta du Danube. La succession des dépôts stratigraphiques, qui comprend toute l’époque grecque, atteste le développement naturel de la colonie. Elle a du entretenir des rapports étroits avec la population autochtone avoisinante. Les établissements indigenes de la région, explorés fort sommairement et seulement en surface, sont riches en vestiges grecs. Ainsi, a Enisala (a 10-12 km. de distance seulement) on a ramené dernierement a la lumiere une nécropole a tumuli renfermant d’abondants matériaux, aussi bien autochtones que grecs, de l’époque classique, laquelle pourra fournir des données supplémentaires a cet égard. Nous devons mentionner également qu’un peu plus au nord de notre site, non loin de la côte, on a mis au jour la célebre tombe princiere de Hagighiol, qui date de la meme période classique et implique a coup sur l’existence, dans son voisinage immédiat, de la résidence d’un basileus. De nouvelles fouilles finiront peut-etre par l’identifier.
Quant a l’organisation administrative d’un territoire rural, qui ne saurait avoir fait défaut, nous ne pouvons encore nous prononcer a ce propos pour l’époque grecque.
L’ époque romaine proprement dite se présente avec des vestiges plus abondants et comporte une aire plus vaste, correspondante au développement maximum de la ville. Le quartier extra muros compris, on peut lui assigner une surface au moins double de celle de la citadelle romano-byzantine. Bien que les recherches aient été jusqu’ a ce jour assez réduites, nous avons été néanmoinsen mesure de constater les effets destructifs de la migration des peuplades barbares et ses graves répercussions sur l’ évolution de la ville. Sous le rapport archéologique, ce phénomene se traduit par la modification de son territoire urbain, qui ne peut découler que de la diminution de sa force économique et donc de sa puissance politique. A cet égard, les données dont nous disposons aujourd’hui concordent avec la situation topographique et, en ce qui concerne leur interprétation, le parallélisme de la situation la et a Histria permet d’adopter des conclusions similaires. Toutes proportions gardées – car la cité du cap Dolojman n’occupe que la moitié de la surface d’Histria – l’ évolution urbaine aux époques romaine et romano-byzantine est tres nettement la meme pour les deux villes.
Le probleme de l’organisation du territoire rural de la ville est de la premiere importance. Le commentaire de Pârvan a la publication de l’horotésie (Histria IV, p.558-593) le mene a identifier l’Argamum de l’inscription avec l’antique jArgamwv de Procope (De aedificiis, IV, 11, éd. Haury, p. 149). Dans sa tentative de reconstituer la carte du territoire d’Histria, Pârvan, conformément a cette lecture, considérait la hauteur qui se termine par le cap Dolojman – ou se trouve notre site – comme “la limite entre le territorium Histriae et le dominium Argamensium”. C’est donc qu’il accordait un territoire a la ville d’Argamum, qui était par conséquent indépendante et non pas soumise a Histria. Elle a du bénéficier, antérieurement a la conquete romaine, des memes immunités et libertés fiscales que les habitants d’Histria. Mais ce sont la des problemes qu’il appartient a l’avenir de résoudre. Il en est de meme pour une derniere hypothese (formulée dans la Tabula Imperii Romani) qui tend a localiser en ce point Constantiniana – polis au nord d’Histria. Il serait prématuré de discuter aujourd’hui ce probleme, dont l’argumentation ne se fonde que sur une documentation déja ancienne. Des recherches sur les lieux sont en cours. Elles pourraient nous réserver des surprises. De nouvelles découvertes épigraphiques seraient seules a meme de résoudre cette question. Pour le moment, contentons-nous des données sures que l’archéologie peut nous offrir, données qui nous permettent de jalonner l’histoire de cette ville si petite mais non sans importance.
Mihaela Manucu - Adamesteanu
Céramique archaique d’Orgamé
Mihaela Manucu Adameateanu
Le nom d’Orgamé/Argamum n’est pas tout c fait inconnu dans la bibliographie pontique. Plusieurs études lui ont été consacrées ou en font mention, depuis le commencement des fouilles en 1926 et, surtout, depuis leur reprise en 1965. Traité habituellement en tant que site dont l’appartenance c la chôra histrienne était hors de doute, Orgamé se laisse découvrir au fur et c mesure du progr¬s des recherches archéologiques, en soulevant nombre de questions et en remettant en cause les débuts et les paradigmes de la colonisation pontique.
Il y a moins de dix ans j’attirais l’attention sur le fait que l’évidence archéologique déjc acquise mettait décidément en question le rapport chronologique et les circonstances des fondations respectives d’Orgamé et d’Istros. Sur la foi des trouvailles céramiques les plus anciennes accumulées jusqu’c ce moment-lc (dernier tiers du VII-¬me si¬cle av. J.–C.) dans les deux sites, j’avançais l’hypoth¬se d’une installation simultanée des Grecs (milésiens) c Orgamé et c Istros.
Depuis lors les vestiges mis en lumi¬re par le progr¬s des fouilles, dans l’aire habitée aussi bien que dans la nécropole d’Orgamé, sont c m¨me non seulement d’enlever tout doute concernant l’ancienneté de notre cité mais, de plus, d’en faire remonter les débuts c une époque encore plus réculée.
Le lot céramique qui fait l’objet de cette contribution a été livré par les fouilles derni¬rement déroulées c Orgamé. Sur un total de plusieurs douzaines de pi¬ces fragmentaires, recouvrant la seconde moitié du VII-¬me si¬cle et tout le VI-¬me si¬cle av. J.-C., je vais m’arr¨ter sur quelques uns des plus anciens témoignages de la présence grecque. Il s’agit d’un groupe qui réunit des pi¬ces fragmentaires d’origine gréco-orientale, illustrant le style Wild Goat.
Parmi eux il faut remarquer la présence de cinq exemplaires appartenant au Middle Wild Goat I:
1. Oenochoé. Fragment d’épaule. (Fig. 1/1).
Inv. Arg FE 001/96. Dimensions conservées: 7,5 x 7,2 x 0,45 cm.
Trouvé parmi les débris d’une construction moderne, c 2,97 m de profondeur. Secteur FE C16 SV.
Pâte rose-grisâtre, aux nuances de brun; corps céramique rélativement homog¬ne, d’aspect stratifié, contenant de minces particules calcaires, des grains fins de quartz et de rares paillettes de mica dorée. Engobe épaisse, beige clair, lég¬rement lisse. Vernis brun foncé tirant sur le noir, c faible éclat; couleur de retouche violet rougeâtre épaisse, terne. Peinture par endroits endomagée.
Frise incompl¬te, limitée en bas par un filet: train antérieur d’un sphinx en marche vers la gauche, ornaments de champ: rosaces diverses, croix gammées, carreau rayonné. Couleur de retouche sur l’abdomen du sphinx; incisions absentes.
Datation: 640-630 av. J.-Ch.
En ce qui concerne l’exécution du décor, il faut remarquer la précision et la légérité du trait, autant qu’une certaine rigidité du mouvement du sphinx. L’utilisation associée de deux techniques pour rendre les détails (points fins pour l’aile, violet sur l’abdomen), ainsi que la densité modérée des ornements du champ fournissent autant d’arguments en faveur de la datation proposée – vers le milieu du troisi¬me quart du VII-¬me si¬cle av. J.-C. – et du rattachement de notre pi¬ce au style Middle Wild Goat I. De par la qualité de la peinture l’appartenance de notre tesson au groupe d’Arkades nous semble hors de doute. Aux provenances invoquées par Chr. Kardara pour les pi¬ces composant le groupe, qui desinnent déja une aire de diffusion plutôt etendue (Cr¬te, Rhodes, Egine, Etrurie, Sardis, Nemirov) il faudrait peut-¨tre ajouter les découvertes semblables dans la région occidentale de l’Asie Mineure (Milet, Eph¬se) et des sites lévantines, tel Al Mina.
L’emplacement du tesson sur le contour supposé de l’épaule ainsi que son profil, c peine recourbé, évoquent le type d’oenochoé au corps globulaire et embouchure ronde, dont la présence, c côté de l’oenochoé c l’embouchure tréflée, semble fournir au Middle Wild Goat I le relais avec l’étape précédente du style. Il est c supposer que le sphinx figuré sur notre tesson faisait partie d’une composition héraldique qui ornait l’épaule d’un tel vase, m¨me s’il trouve son parall¬le – touchant c l’identité – parmi les représentations des extrémités de la frise supérieure d’une fameuse oenochoé c l’embouchure tréflée.
Faute d’analyse de la pâte, il est difficile d’établir le lieu de production du vase auquel appartenait notre tesson, mais les qualités artistiques du décor semblent indiquer une provenance sud-ionienne, qu’elle soit milésienne ou bien samienne.
Trouvé dans une couche boulversée, c 1,47 m de profondeur, c proximité de l’édifice P d’époque romaine tardive. Secteur FE C?.
Pâte rose pâle, aux nuances grisâtres; corps céramique rélativement homog¬ne, d’aspect stratifié, contenant de minces particules calcaires, des grains fins de quartz et rares paillettes de mica dorée. Engobe épaisse, beige clair, lég¬rement lisse. Vernis brun foncé tirant sur le noir, lég¬rement luissant. Peinture assez bien conservée.
Frise incompl¬te, limitée en bas par bande formée de paires de filets encadrant une tresse simple: train antérieur d’un daim (?) paissant vers la droite; ornaments de champ: croix de petits losanges, rosace composée de cercles concentriques et de points, rosace de points treflés. Pas de retouches ou d’incisions, mais des détails réservés: des cercles sur le corps et le col du daim, bande décorée de points sous l’abdomen.
M¨me datation et attribution que l’exemplaire précedent.
Le dessin du daim - soigné, délicat et précis - et le répertoire des éléments de remplissage utilisés, c côté du type de bande de séparation des frises rel¬vent tous de la technique et du schéma décoratif caractéristiques de la premi¬re phase du Middle Wild Goat. Le modellage du tesson, dont l’épaisseur en bas de la frise est augmentée, ainsi que la lég¬re déformation des éléments de remplissage situés sous l’abdomen et entre les pattes antérieures du daim, sugg¬rent que l’emplacement de notre pi¬ce était dans la proximité de la base du vase ou, du moins, dans la partie inférieure de son corps.
La meilleure analogie pour l’imagerie de notre fragment est fournie par les frises couvrant le corps de la fameuse oenochoé Levy. Des céramiques décorées de mani¬re semblable ont été découvertes c Al Mina, Milet, Samos et Bérézan’.
Tout comme pour l’exemplaire précédent, l’origine de notre tesson est c chercher dans la production des ateliers de l’Ionie du Sud, c Milet ou c Samos.
Trouvé dans la couche archa3que de l’éxtrémité orientale de la falaise, c 1,96 m de profondeur par rapport au niveau actuel, c proximité d’une habitation datant du second quart du VI-¬me si¬cle av. J.-C. Secteur FE S LA1.
Pâte rose orangée, c mince noyau gri; corps céramique rélativement homog¬ne, d’aspect compacte, contenant de menues particules calcaires et de rares paillettes de mica dorée. Engobe épaisse et bien adhérente, jaune blanchâtre clair, c faible éclat, obtenu par le polissage en réseau de la superficie. Vernis brun foncé tirant sur le noir et, par endroits, sur l’ocre brique, lég¬rement luissant. Peinture bien conservée.
Frise incompl¬te, limitée en bas par bande encadrée par fascicule de trois filets: train antérieur d’un chien courant vers la droite; ornements de champ: croix gammée, rosace cruciforme de losanges. Pas de retouches ou d’incisions.
Datation: vers 630 av. J.-C.
Le trait, c la fois ferme et continu dont témoigne le dessin du chien, les éléments de remplissage utilisés et, c côté d’eux, le type de bande de séparation suggéré par les trois filets, constituent autant d’indices en faveur de l’attribution de notre fragment c la premi¬re phase du Middle Wild Goat. L’épaisseur du tesson, lég¬rement diminuée en bas de la frise, sugg¬re que l’emplacement de la pi¬ce était sur l’épaule du vase. Malheureusement, sa minceur nous interdit toute spéculation autour du type d’oenochoé dont il provient mais, c juger d’apr¬s les analogies, il parraît qu’il s’agissait d’un vase c l’embouchure ronde.
Du point de vue du style, on peut établir un rapprochement évident entre la pi¬ce d’Orgamé et les fragments découverts c Emporio (Chios), récemment réunis, sous le nom de ”Boardman Bull Oenochoe”, dans un groupe attribué c la production Middle Wild Goat I des ateliers de l’île.
A côté des exemplaires composant le groupe ”Boardman Bull Oenochoé”, cette phase du développement du style de Chios est illustrée par nombre de découvertes faites dans l’aire égéenne insulaire et lévantine (Aegina, Salamine de Chypre, Al Mina), mais aussi dans le bassin pontique (Krivorošie et Eoperskoé).
Inv. Arg 001/98. Dimensions conservées: 5,7 x 2,8 x 0,5 (1,00) cm.
Trouvé dans une couche de cendres couvrant une superficie en faible terre glaise, c 0,60 m de profondeur, sur la pente descendente du côté méridional de la fortification romaine tardive, extra muros. Secteur SIG C11.
Pâte rose beige pâle, corps céramique rélativement homog¬ne, d’aspect stratifié, contenant de minces particules calcaires, des grains fins de quartz et rares paillettes de mica dorée. Engobe épaisse, ivoire, lég¬rement luisante. Vernis brun foncé tirant sur le noir, c fort éclat. Peinture bien conservée.
Décor de bandes circulaires en succession verticale, incomplet: bande large de vernis, filet, chien courant encadré par deux filets, filet, tresse. Pas de retouches ou d’incisions.
Datation: vers 640 - 630 av. J.-C.
Faute de tout vestige du décor figuratif et de détails c l’apparence stylistique, on est contraint c classer la pi¬ce suivant les faibles indices de l’ornementation plus ou moins standardisée du col. Les éléments choisis, leur association et leur syntaxe font état du syst¬me utilisé pour décorer les cols des oenochoés c l’embouchure ronde du Middle Wild Goat I. L’attribution de notre tesson c ce type ancien d’oenochoé se voit renforcée par l’observation du rapport entre les dimensions conservées du fragment et le régistre décoratif utilisé, qui sugg¬rent l’emplacement du tesson c la base d’un col assez haut (ca. 10 cm), lég¬rement en entonnoir. Or, on sait que l’hauteur du col était caractéristique pour les proportions de ce type d’oenochoé. Quant c la position du fragment sur le profil du vase, elle nous est indiquée une fois de plus par son épaisseur, plus marquée au point de la jonction du col avec le corps du vase, c’est-c-dire du côté de la bande large en vernis noir.
Il n’y a pas d’analogie précise c citer pour notre pi¬ce. Elle peut ¨tre tout de m¨me rattachée c la famille des oenochoai c l’embouchure ronde et col décoré d’éléments dérivés du répertoire géométrique qui connaissent leur dernier éclat pendant la premi¬re phase du Middle Wild Goat. Leur distribution embrasse l’Orient méditerranéen avec les îles, l’Etrurie et le Pont.
Pr¨tant confiance c la tradition qui attribue c Milet la plupart de la production Middle Wild Goat, on ne saurait refuser au tesson d’Orgamé une origine milésienne.
5. Forme inderterminée. Fragment de la partie inférieure du corps (Fig. 1/5).
Inv. Arg 001/89. Dimensions conservées: 14,5 x 8 x 0,6 (0,8) cm.
Trouvé dans la couche archa3que de l’éxtrémité orientale de la falaise, c 1,96 m de profondeur face au niveau actuel, c proximité d’une habitation datant du second quart du VI-¬me sicle av. J.-C. Secteur FE N LA1.
Pâte rose pâle c noyau gris, corps céramique rélativement homog¬ne, d’aspect lég¬rement poreux, contenant de minces particules calcaires et mica dorée en abondance. Engobe épaisse, adhérente, couleur beige clair, lég¬rement lustrée. Vernis brun foncé olivâtre, c faible éclat. Couleur de retouche rouge pourpré épaisse, terne. Peinture tr¬s mal conservée, en cours d’écorcement.
Décor de bandes concentriques, incomplet: a) rayes vides dont la pointe repose sur fascicule circulaire de trois filets; b) guirlande de fleurs et boutons de lotus limitée en haut par groupe de deux filets circulaires; c) bande de guilloches largement rubanée; fascicule de trois filets circulaires. Traces de couleur de retouche sur les pétales du bouton de lotus.
Datation: vers 630 av. J.-C.
En l’absence de toute trace du décor figuratif ainsi que des détails c empreinte stylistique plus marquée, on est contraint de classer le fragment c partir des indices fournis par l’ornementation conservée, plus ou moins standardisée. Le choix et la syntaxe des trois motifs étalés rel¬vent, une fois de plus, du syst¬me utilisé dans l’ornementation des oenochoai Middle Wild Goat I. Faute de rep¬res supplémentaires, le bouton de lotus conservé constitue, toutefois, une trace stylistiquement bien caractérisée. On en retrouve de parall¬les sur des oenochoés treflées du troisi¬me et dernier quarts du VII-¬me siécle av. J.-C.. L’attribution de notre tesson au Middle Wild Goat I observe la parenté avec l’oenochoé Lévy et se voit renforcée par la présence du motif du guillochis, dont l’ emploi fréquent, en cette forme, est une caractéristique de cette phase du style.
Quant c la position du fragment sur le profil du vase, elle nous est indiquée par son épaisseur, tr¬s lég¬rement variée, ainsi que par la syntaxe des éléments décoratifs: ils semble qu’il se trouvait dans la partie inférieure du corps, c proximité de la base peut-¨tre.
La forme du recipient se laisse saisir plus difficilement. A juger d’apr¬s le manque de tout rev¨tissement interne, on dirait qu’on est en face d’un récipient clos. L’épaisseur de la parroi et la succession des diam¬tres des bandes décorées constituent autant d’indices quant aux dimensions du vase. Les analogies du décor peuvent fournir, c leur tour, un faible indice. Somme toute, il parraît qu’il s’agisse, une fois de plus, d’une oenochoé. Mais, si vraiment notre tesson appartenait a tel vase, les dimensions suggérées par les diam¬tres des bandes décoratives sont plutôt embarassantes, puisqu’elles évoquent une silhouette assez étrange par sa massivité (hauteur estimée = 40 cm), qu’il s’agisse d’oenochai c embouchure ronde ou tréflée. Une forme plus compatible avec de telles proportions nous semble le dinos, dont la présence parmi les découvertes de céramiques de la phase ancienne du Middle Wild Goat paraît plus discr¬te.
A suivre la tradition qui attribue c Milet la plupart de la production Middle Wild Goat, on ne saurait refuser au tesson d’Orgamé une origine milésienne aussi, ou, du moins, sud-ionienne.
Somme toute, les cinq fragments céramiques que nous venons de présenter indiquent une présence grecque c empreinte microasiatique marquée vers le troisi¬me quart du VII-¬m¬ si¬cle av. J.-C. c Orgamé. Les caract¬res techniques differente - tels que l’on a pu saisir c l’oeil nu - nous emp¬chent d’en voir les fragments d’un m¨me vase: nos tessons témoignent de l’existence d’au moins cinq récipients differents, qui sont tous d’origine greco-orientale et c peu pr¬s contemporains. L’impression de diversité devient encore plus compl¬te si on souligne la variété des formes; si nos essais de reconstitution s’av¬rent fiables, on aurrait affaire c quatre oenochoai - dont au moins une c embouchure ronde (no. 4) – et c un dinos. Malheureusement, m¨me si ces tessons ont été découverts pendant les fouilles archéologiques, le contexte originaire ne s’est conservé pour aucun d’eux. Par conséquent, on est privé d’importantes évidences supplémentaires, telles les éventuelles associations ou de traces plus claires concernant le caract¬re de l’établissement. Car l’éxistence d’un établissement grec c Orgamé c cette époque résulte sans l’ombre d’un doute, non seulement du témoignage des cinq vases que nous venons de présenter, mais aussi d’autres céramiques caractéristiques (bols c oiseaux, coupes, amphores) trouvées dans l’aire occupée ensuite par l’habitat archa3que, ainsi que par les découvertes de la nécropole tumulaire contemporaine.
L’importance de la modeste moisson céramique présentée ci-dessus réside sans doute, d’un côté, en sa haute chronologie et, de l’autre côté, en sa provenance.
La dispersion des trouvailles appartenant c cette étape ancienne du dévelloppement du style Middle Wild Goat, marquée par de découvertes de l’aire ouest-anatolienne (Milet, Samos, Chios, Sardes), lévantine (Al Mina) et égéenne (Rhodes, Égine, Cr¬te) semble refléter une diffusion c rayonnement régional, limitée plutôt c la Méditerranée orientale. Les vases gréco-orientaux découverts dans l’espace italique sont peu nombreux - quelques exemplaires découvertes en Etrurie méridionale, Grande Gr¬ce et Sicile – et semblent illustrer plutôt les phases successives du style (les Middle Wild Goat II et Late Wild Goat).
Par les découvertes d’Orgamé le littoral ouest pontique se trouve intégré c des trafics précoces, qu’on peut aisément dater au troisi¬me quart du VII-¬me si¬cle av. J.-C. si non vers son milieu. Les pi¬ces que nous avons présentées viennent ajouter le nom d’Orgamé c la carte de la distribution pontique des plus anciennes céramiques grecques, c côté des trouvailles mieux et depuis longtemps connues de la région septentrionale, livrées par de sites de l’arri¬re-pays (Nemirov, Bel’sk, Temir Gora, Boltyška, Krivorošie).
Il vaut remarquer que de pi¬ces tellement anciennes font défaut c Istros et sont vraiment peu nombreuses c Bérézan - les deux sites tenus jusqu’c ce dernier temps pour les plus anciennes fondations grecques de l’aire pontique et dont les débuts annoncés par les sources antiques se trouvent confirmés par l’évidence archéologique.
M. Manucu Adamesteanu, La céramique archaique d’Orgamé, extras din Civilisation Grecque et Cultures Périphériques. Hommage a Petre Alexandrescu a son 70-e Anniversaire, (éds. Mircea Babes et Alexandru Avram), Ed. Enciclopedica, Bucarest, 2000.